
Ils n’ont peut-être pas la voix la plus forte dans le gymnase, ni la plus grande prestance sur le terrain, mais ces adolescents sont bel et bien ceux qui prennent les décisions – au sens propre. Lors de la cérémonie des prix Sport Newfoundland and Labrador de cette année, trois officiels de moins de 18 ans ont été honorés pour s’être investis dans l’une des tâches les plus exigeantes du sport : celle où tous les regards sont tournés vers vous — et pas toujours avec bienveillance. Cette nouvelle catégorie récompensant les jeunes arbitres et officiels a mis en lumière des parcours empreints de confiance, de résilience, et une nouvelle perspective sur ce que cela signifie de diriger depuis les lignes de côté.
Lancé en 2025 par SportNL, ce prix reconnaît le rôle essentiel des jeunes officiels — des jeunes qui ne se contentent pas de participer au jeu, mais qui le façonnent depuis les lignes de touche, les terrains et les courts. Il s’agit d’une reconnaissance importante pour ces acteurs de l’ombre qui assurent le bon déroulement et l’équité des sports de jeunesse, un rôle souvent méconnu et trop rarement valorisé à sa juste mesure.
Apprendre le jeu en le dirigeant
Olivia Clarke, une arbitre de basketball de 18 ans originaire de Petty Harbour (T.-N.), a été la toute première lauréate de ce prix. Dans son discours de remerciement, elle a tenu à souligner l’influence de son père, qui l’a toujours encouragée à viser l’excellence, tant comme joueuse de basketball que comme officielle. Son histoire illustre bien comment les jeunes peuvent développer une passion et un sentiment d’accomplissement en dehors de la compétition elle-même, en s’engageant dans des rôles de leadership qui exigent confiance, prise de décision et calme sous pression.


L’arbitrage des jeunes est une composante fondamentale du sport à l’échelle du pays. Il offre aux enfants et aux adolescents une façon de demeurer engagés dans leur sport au-delà du simple jeu. Qu’il s’agisse d’imposer et de faire respecter les règles, ou encore de donner le ton à la compétition, les arbitres développent des compétences essentielles qui dépassent largement les limites du terrain ou du court — des compétences telles que le leadership, la gestion des conflits et la responsabilité. Mais bien que cette voie puisse être enrichissante, elle expose aussi à une grande pression et à un examen constant. Alors que de plus en plus de jeunes, comme Mme Clarke, choisissent de s’engager dans ces rôles, une question mérite d’être posée : en faisons-nous assez pour protéger nos jeunes arbitres et leur permettre de relever les défis liés à l’arbitrage dans le sport?
Mme Clarke a commencé à jouer au basketball à l’âge de 5 ans. Devenue rapidement passionnée, elle admet avoir été, dans sa jeunesse, plutôt critique envers les officiels.
« J’avais tendance à me plaindre des arbitres et à les remettre en question, dit-elle. Mais en commençant à arbitrer moi-même, j’ai compris qu’il y avait toujours dix joueurs sur le terrain et seulement deux ou trois officiels — ce qui fait beaucoup de choses à surveiller. Il y a tellement d’éléments en mouvement, et aujourd’hui, j’ai un respect bien plus grand pour leur travail. »
C’est à l’âge de 10 ans qu’elle commence à suivre son père, lui-même arbitre, ce qui lui permet de découvrir le monde de l’arbitrage. Un jour, elle l’entend mentionner que la Commission des officiels du basketball de Terre-Neuve-et-Labrador cherchait de jeunes recrues — elle décide alors de tenter sa chance.
Peu à peu, Mme Clarke en vient non seulement à mieux apprécier le travail des officiels, mais aussi à redécouvrir le sport à travers une toute nouvelle perspective. Pour elle, le plus gratifiant dans l’arbitrage, c’est de pouvoir partager sa passion du basketball avec les joueurs, directement sur le terrain.
Pourtant, le travail n’a pas toujours été facile.
Elle raconte avoir fait face à des comportements inappropriés de la part d’athlètes, d’entraîneurs, de parents et de spectateurs. « Il est vraiment difficile de naviguer dans le jeu », dit-elle. Malgré les défis, elle affirme que l’outil le plus puissant à sa disposition est sa maîtrise complète des règles, qui lui permet de rester ferme en situation de conflit.
« En tant qu’officiels, nous avons plusieurs mécanismes et protocoles pour gérer les situations conflictuelles, explique-t-elle. Moi, j’utilise les règles à mon avantage. Comme ça, quand quelqu’un soulève une question ou une objection sur le terrain, je peux démontrer que ce n’est pas fondé. »
Son approche, qui consiste à rester ancré dans les règles, est à la fois efficace et admirable. Mais est-ce suffisant?
David Hancock, professeur agrégé à l’Université Memorial de Terre-Neuve et expert en psychologie de l’arbitrage, reconnaît la valeur de cette méthode. Toutefois, il souligne qu’elle ne devrait pas constituer la seule stratégie dans l’arsenal d’un jeune officiel. En plus de bien connaître les règles, dit-il, les arbitres doivent également développer des compétences interpersonnelles et émotionnelles.
Il met en évidence trois outils clés que tout jeune fonctionnaire devrait avoir dans sa boîte à outils :
- Une bonne compréhension de la gestion des conflits
- Une conscience de son langage corporel et de ses réactions en situation tendue
- La capacité à maintenir la confiance et à atténuer les doutes dans des contextes de haute pression

Ces compétences, qui relèvent de la communication et de la performance mentale, sont souvent négligées dans les formations traditionnelles. Et pourtant, elles sont tout aussi importantes que la connaissance des règles pour favoriser la confiance, assurer la rétention des jeunes officiels et les soutenir dans des environnements sportifs exigeants.
Aujourd’hui, Mme Clarke met son expérience au service d’un arbitrage plus inclusif. Son plus récent projet : recruter davantage de filles pour se joindre aux rangs des officiels.
« J’ai constaté que les joueurs se sentent plus connectés à leur sport lorsqu’ils voient des gens qui leur ressemblent ou qui ont vécu des expériences similaires. »
C’est dans cette optique qu’elle a dirigé, l’an dernier, le tout premier camp de formation destiné exclusivement aux nouvelles officielles de sa région. Résultat : 18 jeunes femmes recrutées en une seule journée — un grand pas en avant pour une représentation plus équitable dans les rôles décisionnels du sport.
Pour Mme Clarke, recevoir le tout premier prix du Jeune officiel de l’année est à la fois un honneur personnel et une reconnaissance essentielle du travail effectué dans l’ombre.
« Je pense que c’est important de reconnaître les officiels, dit-elle. Les gens ne réalisent pas tout ce que ça prend pour être un bon arbitre de haut niveau. Ce travail mérite qu’on le souligne. »
Confiance, constance et apprentissage en temps réel
Une autre lauréate, Shawna-Marie Stuckless, 18 ans, de Corner Brook (T.-N.), a trouvé sa voie dans l’arbitrage en cherchant à mieux comprendre le jeu — pour s’améliorer comme joueuse.
« Je ne comprenais pas vraiment les règles, explique Mme Stuckless. Alors j’ai décidé de m’impliquer, pour mieux les connaître quand je joue moi-même. »
Ce qui avait commencé comme de la curiosité s’est rapidement transformé en engagement profond. Au cours des trois dernières années, elle a arbitré dans toutes les catégories d’âge, des moins de 11 ans jusqu’aux équipes masculines seniors. Son assurance et son professionnalisme lui ont valu le respect de la Newfoundland and Labrador Soccer Association (NLSA), qui l’a proposée pour le prix de l’officiel junior de l’année 2024.
« Ne vous fiez pas à sa taille d’un mètre cinquante, a écrit la NLSA dans sa nomination. Shawna-Marie fait preuve d’une confiance remarquable dans ses décisions, même au beau milieu d’un match d’hommes seniors. »
Comme Mme Clarke, Mme Stuckless utilise les règles à son avantage lorsqu’il s’agit de faire face aux critiques des joueurs et des entraîneurs.
« J’utilise les lois du jeu pour me sécuriser, explique-t-elle. Quand quelqu’un conteste une décision, il suffit souvent de dire : “Voici la règle, voici pourquoi j’ai pris cette décision.” Ça me permet de défendre ma position. »
La constance est, selon elle, l’une des qualités les plus importantes pour un officiel — et elle en a fait le pilier de son approche.
« Pour moi, ce qui compte le plus, c’est d’être cohérente. Si j’ai pris une décision à un moment donné, je dois appliquer la même logique dans une situation équivalente. »
Mme Stuckless est aussi membre de la Purple Shirt Campaign, lancée par la NLSA en 2023. Ce programme vise à retenir les nouveaux arbitres en signalant aux joueurs et spectateurs qu’ils sont encore en apprentissage. Ce petit indice visuel s’avère un outil puissant, car il permet de créer un climat plus compréhensif et respectueux.
Au cours de sa carrière d’arbitre, Mme Stuckless a appris à apprécier les nuances du travail avec les différents groupes d’âge.
« Avec les plus jeunes, je ne peux pas tout siffler. Ils donnent des coups de pied partout, il y a une tonne de fautes, dit-elle. L’objectif, c’est surtout de leur donner envie de jouer au soccer, tout en les éduquant doucement. Dans les ligues seniors, c’est une toute autre dynamique : il faut gérer le jeu, mais aussi les comportements. »
Soutien systémique aux jeunes officiels
Les moyens d’identification visuelle comme les chemises violettes ou les brassards verts peuvent être utiles, mais selon M. Hancock, ils ne suffisent pas à eux seuls.
« Est-ce suffisant d’indiquer qu’un officiel est un enfant?, demande-t-il. Ou faudrait-il mettre en place des systèmes de signalement anonymes, que les jeunes officiels pourraient utiliser pour rapporter ce qu’ils vivent réellement? »


Il souligne également que la formation des jeunes officiels manque souvent de profondeur.
« Beaucoup de ces sports organisent des stages d’un ou deux jours, explique M. Hancock. On y passe généralement en revue les règles du jeu, mais on accorde peu de place à la formation sur les politiques, les procédures ou encore sur les outils mentaux et de communication dont les jeunes arbitres pourraient avoir besoin. »
Même si certaines organisations offrent des formations solides, M. Hancock observe un manque d’uniformité entre les provinces et les disciplines. Bien souvent, ces formations ont lieu dans des salles de classe, sans qu’aucune expérience pratique ne soit offerte avant le tout premier match de l’officiel.
Dans de nombreux systèmes sportifs au Canada, l’arbitrage débute dès le plus jeune âge. Les jeunes peuvent commencer leur formation dès 12 ans, ce qui crée un précieux tremplin pour développer leurs compétences et s’engager à long terme dans le sport. Toutefois, en raison de la pénurie persistante d’arbitres, cette entrée précoce peut aussi mener à confier à de jeunes officiels des rôles très exigeants, avant qu’ils ne soient pleinement préparés.
Pour encadrer cela, la plupart des organisations sportives, tant au niveau national que provincial, mettent en place des directives précises sur les catégories que les jeunes officiels sont autorisés à superviser. Dans la voie d’arbitrage de Hockey Canada, par exemple, les officiels de niveau 1 — souvent les plus jeunes — ne peuvent arbitrer que des niveaux inférieurs d’un groupe d’âge à leur propre catégorie. Mais elle prévoit aussi des exceptions :
« Une fédération membre peut affecter un officiel à une catégorie d’âge supérieure s’il a démontré un haut niveau de compétence, d’habileté et de maturité, et si le programme de développement de l’arbitrage de la fédération recommande cette promotion. »
Bien que cette flexibilité soit prévue pour des cas exceptionnels, M. Hancock affirme qu’elle est de plus en plus utilisée comme solution de rechange face au manque de personnel.
« En principe, ces exceptions s’appliquent aux officiels qui montrent un potentiel remarquable, précise-t-il. Mais dans les faits, avec la pénurie d’arbitres, les organisations se demandent souvent : qui pourrait-on faire monter d’un cran? Et tout à coup, un jeune de 15 ans se retrouve à arbitrer un match U18 ou même U21. »
M. Hancock admet être lui-même confronté à ces enjeux. Lorsqu’on lui a demandé s’il encouragerait un jeune à devenir arbitre, il a pensé à son propre fils, qui s’apprête à fêter ses 14 ans.
« Est-ce que je l’encouragerais à devenir arbitre?, dit-il. Oui, parce que je crois encore que c’est bénéfique d’être physiquement actif, d’apprendre à bien communiquer, à gérer les conflits et à maîtriser les règles. »
Le danger, cependant, c’est de décourager les jeunes dès leurs premières expériences — voire de les blesser psychologiquement. C’est pourquoi M. Hancock estime que les organisations sportives doivent aller bien au-delà de la simple remise d’un sifflet et d’un manuel de règles.
« J’invite les entraîneurs et, surtout, les parents à réfléchir aux répercussions de leurs comportements sur les jeunes officiels, déclare-t-il. Il faudrait sensibiliser davantage les spectateurs à leur attitude. Mais au fond, ça dépasse la question de l’arbitrage. »
Pour Mme Clarke et Mme Stuckless, l’arbitrage a été bien plus qu’une meilleure connaissance du jeu : il a façonné leur confiance, leur voix et leur capacité de leadership. À mesure que de plus en plus de jeunes Canadiens suivent leurs traces, la communauté sportive fait face à une double responsabilité — et une belle occasion : celle de garantir que les jeunes officiels soient respectés, protégés et valorisés chaque fois qu’ils entrent en action.